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Vilain Petit Canard

14 janvier 2008

La Résistance française : Laurent Douzou

Laurent Douzou s'attache d'abord à mettre en perspective la dialectisation ontologique qui existe entre histoire et mémoire.
Histoire et mémoire travaillent toutes deux sur le temps déjà écoulé, mais traitent et analysent de façons divergentes le temps révolu. Laurent Douzou définit d'abord la mémoire, comme un objet complexe, comme « le vécu » tel qu'on se le remémore. Elle est définie, selon lui, par une forte teneur en émotion. Elle est une forme de présence du passé, mais elle renvoie sans cesse au présent, à ses inquiétudes, à ses attentes. Le temps de la mémoire surgit inéluctablement avec une charge affective inévitable et prépondérante. Portée par des individus ou par des groupes, elle évolue nécessairement entre souvenirs, amnésie, refoulement et processus de revitalisation. Elle s'inscrit dans un présent très fort, dans ce que Reinhardt Koselleck appelle l'espace d'expérience, univers contextualisé forcément source de projections, d'implications et de subjectivité. Par conséquent, la mémoire, dans le présent de ses réactivations successives, est l'objet de déformations incessantes, déformations qui lui sont à la fois inhérentes et étrangères, puisque la mémoire n'est pas consciente des déformations qu'elle génère. Il n'existe donc aucune linéarité de la mémoire dans le temps.
Laurent Douzou prend l'exemple du retour « des absents » lors de la libération. En 1945, l'image qui capte avant tout l'attention, est celle des « déportés résistants » victimes de la répression et de retour des camps de concentration. Dachau ou Buchenwald sont les symboles de la souffrance et de l'univers concentrationnaire. Depuis, deux ou trois décennies, avec l'émergence et l'affirmation d'une identité juive hexagonale, c'est à présent le « génocide » et les camps d'extermination qui sont fortement présents dans l'imaginaire social. Il y a donc eu, entre ces deux phases, un déplacement du centre de gravité de la mémoire nationale dépendant de deux temps successifs de souvenance et d'analyse du passé par la collectivité.
Le temps de la mémoire est finalement et simplement le temps du souvenir, qui ne peut jamais être complètement « objectivé » et « mis à distance.» Laurent Douzou s'interroge de ce fait, sur le traitement historique des témoignages et, en particulier, sur ceux concernant la Résistance et la Déportation. Lorsque le témoin interpelle un épisode passé de sa vie, que cette interpellation fait surgir forces « émotions », le récit qui découle de cette remémoration a pour lui une incontestable charge de véridicité. Il revit le passé tel qu'il pense que celui-ci s'est réellement déroulé. Or, ce passé révolu et interpellé a été entre-temps infléchi, modifié, remanié, amendé en fonction des expériences ultérieures du témoin, de l'évolution de sa vie et du contexte sociétal. C'est à dire que le passé a pris pour le témoin, des significations nouvelles. Mais de ces remaniements, le sujet n'est pas conscient.
À l'inverse de la mémoire, pour Laurent Douzou, l'histoire est fondamentalement définie par « la mise à distance », formule qu'il emprunte à Paul Ricœur. Elle est une reconstitution problématique et par nature incomplète, de ce qui n'est plus: c'est une représentation du passé, sous-tendue par des visées véritatives fortes, mais qui participe à la construction d'une mémoire collective dans une temporalité définie par la « mise en intrigue. » L'histoire est donc une construction qui s'élabore « avec » - dans la mesure où elle génère de la mémoire collective - et « contre » la mémoire dans la manière d'analyser le passé. Pour illustrer son propos, Laurent Douzou cite Pierre Nora, dans Les lieux de mémoire : « Interroger une tradition, si vénérable soit-elle, c'est ne plus s'en reconnaître unanimement le porteur. » Dans ce sens, l'histoire, participe donc bien à l'émergence et à la construction de mémoires collectives successives.
Ainsi, l'ancien combattant qui visite les plages du débarquement, les lieux …, se trouve in situ , dans des phases de réactivation de sa mémoire, forcément chargées d'émotion. Quand il se rend ensuite au Mémorial de Caen, il passe de la mémoire à l'oubli, de la mémoire à l'histoire, telle qu'elle a été élaborée par la communauté historienne, histoire qui procède elle-même d'un « lieu » et, qui génère une mémoire sociale. Faisant référence à l'épisode de la guerre d'Algérie, Laurent Douzou affirme que c'est dans l'histoire du temps présent, parce qu'il y a encore les témoins, que la tension est la plus vive entre histoire et mémoire. Au-dessus de l'épaule des historiens, il y a des têtes qui regardent, qui jaugent... Attentifs et critiques, les témoins suivent les évolutions historiographiques : les historiens écrivent donc sous surveillance. Reconnaissant bien souvent le travail d'érudition et d'intelligence de l'historien, les témoins sont cependant souvent déçus par l'historiographie. Ils ne s'y retrouvent pas, à la fois littéralement, dans l'index et, ils n'y retrouvent pas les « émotions » qui ont accompagné leur vécu.
Daniel Cordier, résistant, proche de Jean Moulin et historien biographe, identifie clairement, dans Jean Moulin, L'inconnu du Panthéon, le malaise et la tension permanente qui existent entre histoire et mémoire d'une part et témoignage et histoire d'autre part : « Ce passé encore si vivant, pour moi, m'apparaît maintenant comme l'improvisation d'un orchestre de jazz, dont les instruments auraient été perdus et dont une grande partie de l'enregistrement aurait été détruite Ce passé qui était parcouru d'enthousiasme brûlant, de dévouement sans calcul, ressemble à un concert joué une seule fois, et que les spécialistes s'efforcent de reconstituer avec des bribes de documents ou de témoignages. Au terme de leur enquête, peut-être découvriront-ils le nombre et la qualité de l'assistance, la composition de l'orchestre ou le genre de musique exécutée. Mais quelles que soient leur patience et l'exactitude de leurs recherches, jamais plus personne ne percevra dans cette musique la sensibilité particulière des musiciens et de leurs instruments, ni la richesse de sa mélodie et la complexité de son harmonie, tel que, "ce jour-là", elle fut exécutée. Tout au plus pourra-t-on tenter la transcription, plus ou moins exacte, des partitions, mais le déchiffrement de chacune d'elles juxtaposée ne restituera jamais la minute exceptionnelle de leur fusion rythmée. Seuls ceux qui y auront assisté conserveront dans leur tête la plénitude des improvisations de ce concert, sans être capables, à cause de leurs souvenirs déformés et de leur vocabulaire impuissant, de faire partager leur plaisir, figé à jamais dans leur mémoire solitaire. »
Cette longue citation prouve si besoin en était, que l'événement révolu, est par nature « absent », « autre » et, que l'écart entre le passé et le présent est irrémédiable. Les acteurs sont condamnés à jamais à conserver dans leur mémoire ce passé révolu, souvent ineffable et toujours déformé par la subjectivité du « regard » porté sur le passé par la mémoire. Jean Cassou, dans ce sens, a poussé encore plus loin l'analyse du rapport entre l'acteur-témoin et le processus de remémoration. « Pour chaque résistant, la Résistance a été une façon de vivre, un style de vie, la vie inventée. Aussi demeure-t-elle dans son souvenir comme une période d'une nature unique, hétérogène à toute autre réalité, sans communication et incommunicable, presque un songe. Il s'y rencontre lui-même à l'état entièrement libre et nu, une inconnue et inconnaissable figure de lui-même, une de ces personnes que ni lui, ni personne n'a, depuis, jamais retrouvée… » (Jean Cassou, La mémoire courte , Mille et une nuits, 2001, p. 39). Par conséquent, celui que l'écoulement du temps, mue en témoin et en observateur, finit par être étranger à son propre vécu. Lorsqu'il se remémore son passé, l'acte de regard ne peut se définir que comme une herméneutique de l'altérité, une herméneutique d'une double hypostase le « je » et le « je comme passé ». Jean Pierre Vernant, dans Mythe et vérité , s'interroge sur le fait d'écrire sur soi-même, sur son propre parcours, sur le mystère de la vie. Analysant ses choix, sa destinée et portant un regard sur son évolution, il se reconnaît dans les différentes temporalités de son existence, à la fois comme « autre » et comme « lui-même. » Ce qui tend à prouver que la mémoire individuelle, par essence indispensable et existentiale dans le sens où elle structure notre manière propre d'exister, est capricieuse par nature, infidèle et trompeuse, illusoire même. Sur ce thème Laurent Douzou invoque avec justesse, Pierre Bourdieu, dans Méditations pascaliennes . Ce dernier met les historiens en garde contre les « fausses trappes » de l'illusion biographique et de l'égo-histoire : « Les universitaires heureux (les seuls à qui on demande cet exercice d'école…) n'ont pas d'histoire et ce n'est pas nécessairement leur rendre service, ni à l'histoire, que de leur demander de raconter sans méthode des vies sans histoire. »
In fine, il devient nécessaire pour l'historien et le professeur d'histoire de s'interroger sur le « hiatus fondamental » qui existe entre « histoire vécue » et « histoire écrite. » Arlette Farge, dans Le goût de l'archive , affirme à ce sujet qu' « On ne ressuscite pas les vies échouées en archive. Ce n'est pas une raison pour les faire mourir une deuxième fois. » Laurent Douzou met aussi clairement en garde les enseignants sur le soi-disant « devoir de mémoire » parfois invoqué au milieu des années 1990 et, sur la place et le traitement du témoignage oral dans les classes. Lorsque le professeur décide l'intervention d'un témoin en classe, le danger réside principalement dans le fait que, très souvent, la qualité d'écoute est exceptionnelle, car les élèves ont l'impression inexacte que d'un coup, ils accèdent au présent du passé restitué avec émotion et véracité. Comme l'historien, la classe, le professeur, à l'écoute des témoins et de la mémoire, se doivent en amont d'effectuer une phase de contextualisation et, en aval d'éplucher, de travailler, de disséquer ces témoignages avec le plus grand recul critique et la plus grande prudence.
Périodisation du thème des mémoires de la seconde guerre mondiale
Dans un troisième temps, Laurent Douzou rappelle que depuis Maurice Halbwachs dans les années 20, la problématique histoire-mémoire a beaucoup évolué. Mais depuis 30 ans, au lieu de présenter la contradiction histoire-mémoire comme insurmontable, les historiens ont commencé à penser que la mémoire, jusque dans ses défaillances, ses troubles, ses mensonges, au lieu d'être stigmatisée, pouvait devenir un « objet d'histoire. » Cette inflexion patrimoniale et mémorielle débute au milieu des années 70 à la suite de l'apparition dans le champ social du négationniste. Les historiens ont, de fait, commencé à s'intéresser aux mémoires de la Seconde Guerre mondiale. Laurent Douzou s'appuyant ensuite sur une contribution de Robert Frank à La France des Années noires , esquisse une mise au point scientifique sur la périodisation concernant ce nouveau thème au programme du cycle terminal. Il distingue 4 périodes.
La première période (1945-1947) est un intervalle court de « deuil et d'unanimité résistancialiste. » Durant cette période, les Gaullistes ont imposé durablement, au fil des commémorations, les principaux mythes de la libération et de la résistance. S'impose à cette époque une vision consensuelle et une lecture résistancialiste de l'histoire de la seconde guerre mondiale. D'autre part, à cette date, il n'existe officiellement aucune fragmentation mémorielle des groupes victimes de la déportation, de l'extermination, de l'emprisonnement, ou du déplacement. C'est une vision globale et englobante des mémoires qui l'emporte. Au printemps 45, le vocable utilisé pour parler des différents groupes non rapatriés est celui d'« absents ». Mais en réalité, l'image qui capte l'attention est celle des « déportés résistants » victimes de la répression nazie. Véritables héros nationaux, l'Etat leur réserve toutes les distinctions honorifiques. De fait, l'ensemble des rapatriés est assimilé à la masse indifférenciée des « déportés » et, les juifs de retour des camps d'extermination ne sont pas considérés comme un groupe spécifique ayant échappé à l'anéantissement.

Ce document est un travail universitaire récupéré sur Internet : je citerai mes sources dès que je les aurai retrouvées...

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14 janvier 2008

Narration d'un succès planétaire : Portishead

Portishead : je voulais vous parler de ce "petit" groupe qui porte le nom d'une ville à 20 kms de Bristol. En 1991, se rencontrent un jeune homme et une jeune femme à l'agence locale pour l'emploi de Bristol. Lui fait de la musique et elle égrène ses chansons dans les bars des environs. Ils décident de travailler ensemble. Je bénis ce jour et l'agence locale pour l'emploi de Bristol !!
Va sortir pour moi ce qui est le meilleur de la musique en langue anglaise du vingtième siècle ! Si Si devant Rolling Stones ou les Beatles. Enfin, là, j'avoue que je ne suis plus très objectif !!
Lui, c'est Geoff Barrow et elle, Beth Gibbons. Sa voix déchirée et l'inventivité musicale de Geoff aidé par un guitariste de talent qui rejoint le groupe, Adrian Utley, font du premier album Dummy, l'album planétaire de l'année 1995, récompenses y compris.
Dire que ces 2 là étaient chômeurs...
En 1997, ils sortent le deuxième album, qui porte sobrement le nom du groupe : ce dernier est plus violent mentalement. Le groupe n'avait pas apprécié malgré le succès de l'album précédent que malgré la douleur exprimée par Beth Gibbons, l'album soit souvent mis en fonds musical lors des soirées d'amis. Cette fois-ci rien ne pourra écarter du message et de la violence soutenue contenus dans la musique et les paroles du groupe.
Un documentariste français réalise alors un documentaire unique, qui retranscrit bien l'atmosphère de Portishead. Il est très rare aujourd'hui. Beth Gibbons nous emmène voir sa mère, les paysages de son enfance.
Pour l'atmosphère, rien ne vaut les textes. Il faut savoir que la façon de traduire Portishead a fait l'objet de longues discussions sur tel ou tel mot. Et moi qui ne suis pas bon en anglais, tu peux croire qu'à l'époque j'ai beaucoup cherché et travaillé pour avoir les significations exactes, par exemple de la chanson Wandering Stars. C'est très sombre et très triste mais tu t'en rendras compte toi-même si tu écoutes.
Après viendra l'album live du concert à New York en 1998 : magistral : je t'en fournis plusieurs exemples à suivre dans des liens distincts. C'est le clou du spectacle avant de se retirer.
Puis, plus rien, la mort dans l'âme les fans sont obligés d'aller voir ailleurs pour se nourrir musicalement.
Le succès les a détruits en tant que groupe. Beth Gibbons fait des essais réussis dans la chanson folk. Beth et Geoff ne s'entendraient plus bien. Pourtant c'est bien la créativité alliée des deux qui peut seule faire renaître Portishead. Pourtant à chaque interrogation l'un et l'autre, disent NON Portishead n'est pas mort. Il va sortir un album prévu en 2003, 2005, 2006 etc. Geoff est resté à Bristol où il anime certaines soirées. Un site Portishead continue d'exister. Portishead produit d'autres groupes mais plus rien ... désespoir quand tu nous tiens !
En février 2007, Geoff anime une soirée dans un pub et soudain Adrian Utley et Beth Gibbons pénètrent dans la salle. Les 3 s'installent et avec deux guitares se mettent à jouer les morceaux de Portishead. Ceux qui furent là ce soir là ....
La video fait le tour d'internet...C'est la première vidéo que je mets en lien.
Et le 3 décembre 2007, un concert est annoncé à Bristol pour le 15 décembre 2007 ainsi qu'un nouvel album en avril 2008 qui ne serait plus repoussé, étant au stade du mixage.
Le premier concert depuis 10 ans, avec le risque qu'il n'y en ait plus jamais : au secours j'ai tout de suite voulu avoir une place.
J'ai eu l'information le 6, décembre, aussitôt je cherche avec mon frère comment me rendre à Bristol et y loger, mais tous les billets étaient déjà vendus... snif snif ...
Maintenant il me reste à attendre avril et toute nouvelle programmation d'un concert !! En plus leurs concerts se font toujours dans des salles à taille humaine, donc avec un public réduit. Je voudrais tant une fois assister à un concert de Portishead !
Ce qui est intéressant, c'est que malgré le succès de leur premier album, la musique exigente du groupe fait qu'ils sont récompensés sans devenir un groupe populaire pour autant. C'est ainsi que dans les années qui ont suivi, Beth Gibbons a fait des concerts seule en France, dans ma Bretagne, sans que personne n'en parle. Elle était la tête d'affiche des concerts, mais je suis sûr qu'en interrogeant les gens, le nom ne leur aurait rien dit. Il est difficile de faire plus influent sur la musique des années 1990 et aussi peu reconnu en même temps. D'ailleurs leurs musiques sont souvent en fond sonore de reportages à la télévision, sans rapport entre les textes de leurs chansons et les thèmes du reportage à la télévision, sportif par exemple !!

14 janvier 2008

Jankélévitch et la Morale

La morale est un paradoxe. Un vertueux qui se sait vertueux n’est plus dans la vertu. Il appartient à l’orgueil. De fait pour être moral, il faut ne pas savoir qu’on l’est. Ce qui est désespérant convient Vladimir Jankélévitch. Ce qui cependant, approfondit encore la morale. En fait, il faut pour que la morale demeure morale, quelque chose de plus que celle-ci, qu’il importe de découvrir, et que l’on découvre parfois, dans certains moments de l’existence qui sont des moments de grâce : l’amour : aime et fais ce que tu veux disait Saint – Augustin, mais aussi la joie, le bonheur et certaines formes d’innocence comme le montre Jankélévitch dans l’extrait suivant :
« Je n’étais sincère qu’à condition de ne pas prétendre l’être ; à condition de ne pas le savoir ; sinon je m’établis à l’enseigne de la sincérité : je tombe dans le sincérisme professionnel, de la pureté dans le purisme. C’est dire que la pureté existe seulement dans les distractions brévissimes de l’innocence :
« Ecoutez cette merveilleuse musique… Le pianiste qui l’interprète a sans doute du génie ; mais surtout ne le dites pas, même à voix basse. Surtout qu’il n’en sache rien. La conscience qu’il prendrait de son propre génie aurait vite fait de détruire ce don infiniment fragile, infiniment précieux, et de transformer le génie en pantin. Une seule indiscrétion et il est déjà trop tard ; la rumeur enthousiaste et flatteuse est parvenue jusqu’aux oreilles géniales du génie, le miroir lui a renvoyé sa propre image, la complaisance l’a capturé dans ses filets ; le grandissime pianiste sait maintenant ce qu’on dit de lui. Ce n’est plus un pianiste, c’est un pitre, un polichinelle déguisé en pianiste : ses ralentis, ses jeux de bras sont devenus intolérables…Et pourtant, n’ai je pas une conscience pour prendre conscience ? Ce qui est ici en question, ce n’est ni un péché, ni une étourderie. La détérioration de l’innocence est impliquée dans l’exercice même de cette conscience sans laquelle l’homme ne serait pas un homme. »
On peut faire deux reproches à Jankelevitch (auxquels il a facilement répondu) :
le premier : s’il faut pour être vraiment moral, ou être amoureux, dans la joie ou innocent, comment fait on si on est dans aucun de ces cas-là, ce qui est tout de même assez fréquent. Jankélévitch répond que nous avons à l’intérieur de nous une bonne conscience et une mauvaise conscience. Pour lui, il nous faut toujours donner mauvaise conscience à la bonne conscience, sinon nous risquons la complaisance envers nous même. Nous avons deux aiguillons et la mauvaise conscience est le plus important. Nous avons naturellement tendance à penser que nous sommes moraux, à avoir bonne conscience : il faut toujours que la mauvaise conscience soit là en nous attentive pour nous remettre en cause. Cela est d’autant plus nécessaire que la morale est sans provision : ce n’est pas parce que j’ai bien agi hier que je serais bon demain. Il faut toujours se remettre en cause, et pour cela, avoir bonne conscience, penser que l’on fait toujours bien est un piège. Donc en temps normal toujours écouter cette petite voix en soi, qui nous dit : tu n’es pas si bon que ça et qui en fait veut notre bien ! ! !
S’il est vrai que tout est plus facile quand on est dans la joie, amoureux ou innocent, ces situations peuvent aussi contenir des pièges : par exemple, il n’est pas sûr que la jalousie, forme exacerbée de l’amour soit très bonne conseillère morale ! !
Jankélévitch est un des seuls philosophes qui s’est intéressé aux sentiments qui touchent la vie des gens : l’amour, la joie, la douleur, et ce qui fait le sel de la vie (le « presque rien » qui fait toute la différence), etc.. Ce qui fait que vous devriez en réentendre parler sur ce blog…

14 janvier 2008

Hölderlin

"Je suis certaine que pour Hölderlin, c'est comme si une puissance céleste l'avait inondé de ses flots; et c'est le verbe, dans la violence de sa précipitation sur lui, qui a comme submergé et noyé ses sens. Et quand les flots se sont retirés, ses sens étaient tout débilités et la puissance de son esprit subjuguée et anéantie. Et St. Clair le confirme. « Oui, c'est cela. » Et il raconte encore: « Mais pour qui l'écoute, ce serait juste de le comparer au mugissement du vent, car il ne cesse d'éclater en hymnes, qui tout à coup s'interrompent, comme lorsque le vent tourne. Alors, de lui s'empare comme une science plus profonde, et l'idée qu'il soit fou s'évanouit totalement en vous: à entendre ce qu'il dit de la langue et du vers, on croirait qu'il est tout proche, avec ses lumières, du mystère divin du langage; et puis tout retombe pour lui dans la ténèbre et il sombre dans la confusion, songeant qu'il n'arrivera jamais à se faire comprendre. Il dit que c'est la langue qui forme tout de la pensée, car la langue est plus grande que l'esprit humain, qui n'est que son esclave; et tant que la langue seule ne le fait pas éclore en lui, c'est que l'esprit de l'homme n'a pas atteint la perfection."
Bettina Brentano

14 janvier 2008

Les modèles de l'Idiot

L’Idiot, le prince Mychkine, est lui aussi une incarnation de l’homme bon de notre époque. L’idée essentielle du roman écrit Dostoïevski à sa nièce Ivanovna le 13 janvier 1868, est de représenter un homme absolument excellent. Rien n’est plus difficile au monde, surtout en ce moment. Tous les écrivains, les nôtres et aussi tous ceux d’Occident, qui ont entrepris de représenter le beau absolu, ont toujours échoué, parce que c’est une tâche impossible. Le beau est l’idéal, or l’idéal, le nôtre ou celui de l’Europe civilisée, est encore loin de s’être cristallisé. Il n’existe au monde qu’un être absolument beau, le Christ, de sorte que l’apparition de cet être immensément, infiniment beau est certainement un infini miracle (tout l’évangile de Jean va dans ce sens : il trouve le miracle dans la seule incarnation, la seule apparition du beau). Mais je m’écarte. Je dirai seulement que de toutes les belles figures de la littérature, la plus achevée est Don Quichotte. Mais Don Quichotte est beau uniquement parce qu’il est en même temps ridicule. Le Pickwick de Dickens (où l’idée est infiniment plus faible que dans Don Quichotte, mais quand même immense) est aussi ridicule et c’est par là qu’il vous prend. On a de la compassion pour une belle figure moquée et ignorant elle-même sa valeur, et ainsi la sympathie naît chez le lecteur. Cet éveil de la compassion, voilà précisément le secret de l’humour. Jean Valjean est aussi une tentative vigoureuse, mais il suscite la sympathie par son terrible malheur et l’injustice de la société à son égard. Chez moi, rien de semblable, absolument rien, et c’est pourquoi je crains fort que ce ne soit un échec complet. »
Cette lettre nous révèle les modèles littéraires qui ont pu inspirer Dostoïevski – Don Quichotte surtout.

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14 janvier 2008

Texte d'A.Besançon sur Dostoïevski

Dostoïevski n’est pas sûr de croire en Dieu. Il l’écrit dans une lettre de 1854 à sa protectrice sibérienne, Mme Fonvisine. Il le répète dans les démons où son porte parole, Chatov, confesse croire à la Russie, à l’orthodoxie, au Christ. Mais en Dieu ? Il se déclare sur ce point fils de son siècle et tourmenté par le doute. Mais si la foi en Dieu reste suspendue dans le vague, en revanche, selon lui, l’athéisme est mortel. Il ouvre un principe de damnation dans l’intelligentsia révolutionnaire. Il détruit tout ordre social : “Si Dieu n’existe pas tout est permis”, dit un personnage dans Crime et Châtiment et un personnage comique de l’Idiot réitère : “Si Dieu n’existe pas, que devient mon grade de capitaine ?” Une seule chose cependant est pire encore que l’athéisme, c’est le catholicisme. Un prince Gagarine s’y était converti et était même devenu jésuite. De quelles insultes Dostoïevski ne l’abreuve-t-il pas. Il eût mieux fait d’être athée. La parabole fameuse du “grand Inquisiteur” désigne l’objet combiné du socialisme despotique et de sa pire forme possible, sa forme catholique, plus perverse en somme que celle des révolutionnaires russes qui, du moins, sont athées.
L’amour passionné de Dostoïevski pour le Christ est en revanche attesté de bonne heure. Il lui est revenu au bagne : “ Par le Peuple, je le reçus de nouveau dans mon coeur”. Quel Christ ? Comme il en parle il n’est pas si différent du Christ de Renan : un homme idéal, admirable, mais homme : “Il n’est rien de plus beau, de plus profond, de plus sympathique, plus viril et plus parfait que le Christ et non seulement il n’est rien - je me le dis avec un amour jaloux - mais il ne peut rien être”. Son Christ se place dans la série des Christs romantiques, entre le Christ de Hegel, et le Parsifal de Wagner, une sorte aussi de Kaspar Hauser chu des mondes supérieurs dans celui ci, dont l’icône adéquate est le prince Mychine dans l’Idiot, témoin impuissant, autour de qui se multiplient les catastrophes. Est il ressuscité ? Dostoïevski en contemplant le Christ mort de Holbein au musée de Bâle avait été bouleversé par le doute. Est il la Vérité ? “Si l’on me prouvait, poursuit-il dans la lettre à Nathalie Fonvisine, que le Christ est hors de la vérité et qu’il fût réel que la vérité soit hors du Christ, je voudrais plutôt rester avec le Christ qu’avec la vérité”. Parole d’allure grandiose, mais fort dangereuse puisqu’elle admet qu’il pourrait être beau et méritoire de suivre un imposteur. En ce cas son culte d’hyperdulie du Christ, d’un Christ sans rapport défini avec le Père ni avec la toute puissance, ni avec la vérité, ni avec la promesse d’Israël, pourrait en toute rigueur être taxé d’idolâtrie.
Et l’Eglise ? Bien entendu Dostoïevski nie avec indignation qu’on puisse être un vrai chrétien, encore moins un vrai Russe en dehors de l’Eglise orthodoxe. Cependant il en fait peu état, sinon pour marquer son peu d’estime pour la hiérarchie de cette Église. La véritable Église, c’est la Russie, et dans la Russie le peuple russe. Certes le peuple ne connaît pas la Bible, ni l’Evangile, ni le dogme, ni les règles morales, “ mais pour ce qui est du Christ, il le connaît et il le porte dans son cœur pour l’éternité”. C’est pourquoi le Christ en définitive se réduit au “Christ Russe”, l’incarnation non du Verbe de Dieu mais de l’essence de la Russie, de son idéal qu’elle doit répandre sur le monde afin de le rénover. Les Slavophiles affirmaient que la Russie était sainte à cause de la pureté de son orthodoxie. Dostoïevski pense au fond que l’orthodoxie est pure à cause de la sainteté de la Russie.
Cependant Dostoïevski n’aime pas le monde. Il projette sur lui son pessimisme gnostique (il a beaucoup lu Swedenborg). La nature est pleine de bêtes horribles qui surgissent dans les rêves et les hallucinations. Par moment, il est vrai, dans d’autres rêves, dans l’élation qui suit la crise d’épilepsie, ou en contemplant à Dresde une toile de Claude Lorrain il entrevoit une sorte d’Arcadie lumineuse, d’Age d’or, ou tout est réconcilié. Le monde est ainsi scindé, comme est la Russie elle même, pleine de péché et de misère mais qui mystiquement se transfigure quand on se convertit à elle.
Il découle de tout cela une morale qui se calque sur les mœurs extrêmes qu’il prête au peuple russe, capable de barbarie, de mensonge, de violence mais aussitôt d’accès de bonté et de générosité. Dostoïevski le justifie. Cette morale dévalue les commandements de la Bible et leur substitue les conseils évangéliques. Les commandements sont facultatifs, les conseils sont obligatoires. Voler est excusable, mais il est inexcusable d’être propriétaire. L’œuvre de chair est concevable dans le viol, suspecte, voire coupable dans le mariage. Mais surtout, le péché et la grâce sont donnés ensemble et d’une certaine manière le péché est la condition de la grâce. Ce n’est pas la vertu qui prépare à la vertu mais le crime et l’athéisme est le point de passage obligé au seuil de la conversion. Dostoïevski a porté au comble, au littéral , au vertigineux la formule de Luther : simul peccator et justus.
L’héritage posthume d’un grand homme contient au point de vue de l’exactitude historique du vrai et du faux.
Le vrai Dostoïevski me semble avoir été correctement perçu en Russie. Comme on peut le penser Lénine le vomissait , le considérait comme une saleté réactionnaire. Le plus grand auteur russe fut très logiquement en Union Soviétique un auteur interdit. En revanche la culture brillante de l’âge symboliste professait pour lui un culte équivoque. Il était accordé à son apocalyptisme, à son nationalisme messianique. Dostoïevski haïssait la révolution, mais en même temps il décourageait de résister sérieusement, c’est à dire politiquement à son oeuvre de destruction. Ce monde ne méritait pas d’être défendu. Attendons l’Apocalypse et l’Apocatastase. Pour Ivanov, pour Berdiaev, Dostoïevski tendait au bolchevisme un miroir métaphysique profond où l’Occident superficiel et vain était incapable de lire. Quand Berdiaev écrivait que le Bolchevisme avait eu au moins ceci de bon qu’il avait empêché la Russie de suivre le chemin de l’embourgeoisement européen, quand il reprit à la fin de sa vie un passeport soviétique, il n’était pas infidèle à l’esprit de Dostoïevski. L’enfer russe que, selon lui, seul un Russe peut comprendre est tout de même préférable à la satisfaction suisse. L’enfer est un lieu de mauvais anges, mais d’anges, et donc en en soi supérieur à la simple terre où les hommes tâchent de vivre. En plus on y souffre.
En relisant Dostoïevski, j’ai été frappé de voir combien nombre de ses thèmes ont été repris par Soljenitsyne. Certes, Soljenitsyne au Goulag, n’a pas adoré le pouvoir qui l’y avait jeté. Il l’a combattu au nom d’une idée fort concrète de la vérité et de la justice. Il n’a pas haï l’Occident pendant son exil. Il n’a pas eu cependant beaucoup d’estime ni de curiosité pour lui, et n’a pas fait l’effort d’apprendre l’anglais. Il n’a eu de pensée que pour la Russie, son histoire son essence, son destin, persuadé qu’aucun occidental ne pouvait la comprendre. Il a admiré Stolypine, y voyant, à la façon de Dostoïevski, le modèle d’une union du peuple avec un pouvoir d’en haut intelligent et fort. Comme son prédécesseur il compte sur le peuple, sur le Zemstvo, il l’appelle au travail, à la mise en valeur de la Sibérie. Comme lui il veut réunir “dans l’amour” l’Ukraine et la Biélorussie, il comprend mal l’identité persistante du peuple juif, il ne conçoit pas qu’un Russe puisse être chrétien en dehors de l’Eglise du patriarcat de Moscou. Le vrai point commun entre ces deux grands hommes est celui ci : le problème clé devant lequel se trouve la Russie n’est pas un problème politique, mais un problème national, moral et religieux. Ou encore : le national, le moral, le religieux peuvent et doivent se substituer au politique. La question est de savoir si l’on peut faire l’économie de l’ordre politique.
Tournons nous vers l’Occident. La fortune de Dostoïevski repose-t-elle sur une illusion ? Les bons connaisseurs de la Russie ne se sont pas laissé leurrer par le mirage. Mais ceux qui ne connaissaient pas les coulisses et les arrières plans russes de son oeuvre se sont ils laissé blouser par un Dostoïevski imaginaire ? Je ne le pense nullement.
Laissons de côté l’influence littéraire colossale de Dostoïevski sur la littérature mondiale. Faut il pour s’en tenir au seul domaine français, citer Bloy, Mauriac, Bernanos, Claudel mais aussi Proust, Gide, Jouhandeau, Simenon et combien d’autres ? Concentrons nous sur son influence spirituelle. La partie politique de son oeuvre est considérée comme une affaire intérieure russe qui n’intéresse guère l’Occident. C’est essentiellement le penseur religieux qui a été pris au sérieux. Melchior de Vogüe salue en 1886 dans le Roman russe une sorte de bouée de sauvetage capable d’insuffler dans notre littérature si tristement desséchée le supplément d’âme qui lui fait si tristement défaut. Il trouve Dostoïevski un peu fort de café, mais il reconnaît en lui l’interprète autorisé du “livre régulateur”, l’Evangile. Il ne remarque pas que ces Russes dont il admire l’originalité avaient été nourris de Buchez, de Leroux, de Lamennais, de Sand, de toute une littérature sociale-chrétienne un peu exaltée qui en France était largement oubliée, mais qui en Russie, lue avec retard, était encore fraîche et stimulait les écrivains. La Russie lui renvoyait dans un miroir grossissant, éblouissant, des thèmes qui avaient eu leur heure et revenaient maintenant avec le décalage d’une génération.
La trop forte liqueur dostoïevskienne a surtout été appréciée après les grands désastres de la première et de la seconde guerre mondiale. Il devient accordé à un monde en désarroi. Karl Barth dans son livre inaugural de 1918, l’Epître aux Romains se réfère constamment à Dostoïevski, aux côtés de Kierkegaard et de Nietzsche, les trois prophètes des temps de catastrophe. La théologie négative de Barth récuse toute religion, y compris la chrétienne, au profit d’une foi dont la teneur est difficile à expliciter. C’est pourquoi il emprunte littéralement à Dostoïevski le paradoxe qui fait de la négation de toute croyance, la propédeutique de cette foi et, de l’extrême du mal, l’introduction à l’espérance eschatologique : “Le cri du révolté contre Dieu est plus proche de la vérité que les artifices de ceux qui entendent le justifier”.
En 1959, en pleine hégémonie marxiste sur la France, le P. de Lubac conclut sur Dostoïevski son Drame de l’humanisme athée. Il le dresse dans un grandiose parallèle avec Nietzsche, son frère jumeau et son pôle opposé. La citation toujours opportune de Dostoïevski vient avec abondance soutenir sa thèse et enrichir la haute théologie du futur cardinal. J’en dirais autant des analyses de Romano Guardini, de Tillette, de René Girard, pour qui il ne fait pas de doute que Dostoïevski est un penseur chrétien de toute première importance et même qu’il a compté dans le développement personnel de leur foi sans que sa rectitude soit sérieusement déviée par ses hyperboles. Ont ils mal lu ? N’ont-ils pas vu où menait son anomisme voire son antinomisme surchrétien ? Ou bien peut-on simplement constater que les grands textes supportent plusieurs sens et plusieurs lectures ? Dostoïevski “grand homme” échappe de tous côtés aux limitations que son temps, ses passions, son pays lui ont imposés. Il échappe à la description où je l’ai enfermé. Ses délires, ses mensonges, ses folies, deviennent dans un autre climat et sous d’autres regards sa vérité et sa sagesse.

14 janvier 2008

Mon avis sur Dostoievski

Le problème du mal pose le problème de Dieu : Dostoïevski n'arrive pas à une solution, et peut-être n'y est il jamais parvenu. Mais le christianisme devient pour lui une préoccupation constante, et le Christ une nécessité morale. L'état de sa pensée religieuse, après le bagne, est défini dans sa lettre à Nathalie von Vizine (la noble dame qui au passage du convoi par Tobolsk, lui avait remis un Evangile, son seul livre pendant ses quatre ans) :
« On a soif de foi, et on la trouve, au fond, parce que dans le malheur, la vérité s'éclaire. Je vous dirai quant à moi que je suis un enfant du siècle, enfant de l'incroyance et du doute jusqu'à ce jour, et même (je le sais) jusqu'au tombeau. Que de tourments effroyables m'a coutés et me coûte aujourd'hui cette soif de croire, d'autant plus forte dans mon âme qu'il y a en moi plus d'arguments contraires. Et cependant Dieu m'envoie parfois des instants où je suis tout à fait calme ; dans ces instants j'aime et je trouve que je suis aimé des autres, et c'est dans ces instants que je me suis forgé un credo où tout est pour moi clair et saint. Ce credo est très simple, le voici : croire qu'il n'y a rien de plus beau, de plus profond, de plus sympathique, de plus raisonnable, de plus viril et de plus parfait que le Christ, et non seulement qu'il n'y a pas, mais – je me le dis avec un amour jaloux – qu'il ne peut rien y avoir. Bien plus, si l'on me prouvait que le Christ est hors de la vérité, et s'il était réel que la vérité fût hors du Christ, j'aimerais mieux rester avec le Christ qu'avec la vérité ».
Il me semble que ce texte est celui d'un homme religieux, mais sa complexité ressort bien de ses propos avec le « si l'on me prouvait » : Dostoievski n'est pas un homme religieux « canonique », « exemplaire » : sa foi est d'autant plus belle qu'elle est très humaine et qu'il apprécie au fond le Christ autant comme être humain que comme être divin.
Faites à nouveau descendre le Christ sur terre et vous avez l'Idiot !
A.Besançon évoque bien les contradictions internes à la pensée de Dostoievski et les contradictions de la réception de son oeuvre chez les lecteurs, en séparant bien l'Occident et les Russes. Il montre d'ailleurs que les uns comme les autres nous avons accueilli Dostoievski sous la seule partie qui nous intéresse. Les Russes n'ont voulu y voir que le croyant ardent et infaillible et les occidentaux n'ont pas su voir à mon avis que la Russie en enfer pour lui valait toujours mieux que le reste du monde, qu'il y avait quelque chose de suprêmement russe dans sa croyance. Ils ont aussi voulu en faire un romantique et un croyant du doute, alors que c'est plus complexe : il ne dit pas : je crois dans le christ comme être humain. Mais il dit « SI l'on me prouvait...j'aimerais mieux rester avec le Christ qu'avec la vérité ». Ca ne veut pas dire qu'il croit dans le Christ uniquement comme être humain : cela veut plutôt dire qu'il apprécie le Christ autant comme être humain que divin.
En tout cas il y a une chose que je retiendrai toujours de Dostoievski : seul le peuple russe a raison contre ses élites, car lui seul, même sans connaître l'évangile porte le Christ en son coeur C'est un enseignement qu'il doit à son passage au bagne. Je crois que son enseignement est toujours vrai aujourd'hui. Quitte à paraître pour un idéaliste, je crois que la Vérité est dans les paysans russes ou dans les babouchka vendant leurs pommes de terre à la sortie des stations de métro...dans la vie de tous les jours, de ces gens oubliés par le capitalisme sauvage de la Russie.

14 janvier 2008

Bisounours

Des bisous partout OUH OUH OUH OUH
Sur le nez dans le cou OUH OUH OUH OUH
Des bisous, des bisous
Des milliers de bisous
et encore des bisous OUH OUH OUH OUH
Moi à mon Bisounours
Je lui fais des bisous
Des bisous d'amitié
Des bisous de gaieté
Des bisous de soleil
Plein de mille merveilles
Car mon p'tit Bisounours
Il adore les bisous
Moi à mon Bisounours
Je lui fais des bisous
Des gentils, des tout doux
Des géants, des tout fous
Un bisou sur la joue
Un bisou dans le cou
Car mon p'tit Bisounours
Il adore les bisous
Des bisous partout OUH OUH OUH OUH
Sur le nez dans le cou OUH OUH OUH OUH
Des bisous, des bisous
Des milliers de bisous
et encore des bisous OUH OUH OUH OUH
[Moi à mon Bisounours]
[Je lui fais des bisous]
[Et pour me dire merci]
[Il m'en fait lui aussi]
[Des gentils, des mimis]
[Des grands et des petits]
[Car mon p'tit Bisounours]
[Il adore les bisous]
[Car mon p'tit Bisounours]
[Il adore les bisous]
[Car mon p'tit Bisounours]
[Il adore les bisous]
[Car mon p'tit Bisounours]
[Il adore les bisous]

14 janvier 2008

Résistance et Autorité

Comment se fait il que, dès le départ dans la Résistance, certains aient eu des fonctions de dirigeants pendant que d’autres acceptaient d’obéir et risquaient leur peau, alors que ceux qui leur donnaient des ordres ne tenaient leur titre de commandement d’aucune institution ?
Dans l’amitié, tout est commun, tout est égal, mais on n’est pas l’égal de n’importe qui. Les gens qu’on a choisis, ceux avec lesquels on a des affinités sont ceux qui vous inspirent une confiance totale. Dans la Résistance, certains m’ont tout de suite donné le sentiment qu’avec eux on pouvait y aller.
Le problème est celui du fonctionnement de l’autorité en l’absence de toute institution. Je crois que, si certains ont pu jouer un role de direction et tenir tous les fils en main, c’est parce que les noyaux fondateurs du mouvement étaient constitués d’amis, qui faisaient partie d’un même corps et pensaient de la même façon sur toute une série de plans. Ces groupes d’amis avaient le sentiment d’être les égaux de leurs dirigeants et pouvaient ainsi accepter de les voir jouer ce rôle. Mais peut-être aussi ceux qui occupaient cette position ne pouvaient ils la penser qu’en considérant les autres comme leurs égaux. Le problème est là : accepter d’avoir à la fois une position de dirigeant et des rapports d’égalité.
L’amitié a aussi ceci de particulier qu’elle nous change. Avant-guerre, j’avais mes groupes d’amis qui pensaient comme moi. Pendant la guerre je me suis trouvé proche de gens qui étaient des militants catholiques ou même qui avaient été membres de l’Action française (extrême droite de l’époque). Le fait d’avoir pris ensemble, avec passion, des risques très grands m’a conduit à ne plus les voir de la même façon, et moi, je ne suis plus exactement le même depuis.
On peut couper le tissu pour être fidèle à soi-même (ce qui est assez rare : par exemple rompre avec le parti communiste pour JP Vernant quand il a vu où allait le régime soviétique), mais il y a des gens qui, eux, éprouvent le besoin de rompre, de couper ce tissu de l’amitié régulièrement, pour conserver leur unité.
Certains dans la structure de leur personnalité sont des gens de la discontinuité : ils ont besoin régulièrement de reconstruire ; d’autres, lorsqu’ils évoluent, éprouvent au contraire continuellement le besoin de renouer les fils de leur propre tissu : ils coupent rarement le tissu.
Quand je faisais des cours de philosophie au lycée de Toulouse et que je parlais de la mémoire, en expliquant aux élèves que c’était une fabrication de soi, je leur disais, je crois, quelque chose de ce genre : « vous comprenez, au fur et à mesure qu’on avance, on a besoin, pour savoir qui on est, d’avoir un passé coordonné. Cette construction d’un passé coordonné se fait par la refonte de son propre passé. C’est comme une dame qui s’avance avec une grande traîne ; quand elle change brusquement de direction, d’un petit coup de pied, elle remet la traîne derrière elle. C’est ce que nous faisons, nous aussi ».

14 janvier 2008

Le Renard, Le Petit Prince

C'est alors qu'apparut le renard :
Bonjour dit le renard.
Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
Je suis là, dit la voix, sous le pommier...
Qui es-tu? dit le petit prince. Tu es bien poli...
Je suis un renard, dit le renard.
Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...
Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
Ah! pardon, fit le petit prince.
Mais, après réflexion, il ajouta :
Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu?
Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant !
Il élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules?
Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"?
C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ca signifie créer des liens..."
Créer des liens ?
Bien sûr, dit le renard. Tu n'es pas encore pour moi qu'un petit garçon tout
semblable à cent mille petits gerçons. Et je n'ai pas besoin de toi.
Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre.
Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
Je commence à comprendre, dit le petit prince.
Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
C'est possible, dit le renard. On voit sur terre toutes sortes de choses...
Oh! Ce n'est pas sur terre, dit le petit prince
Le renard parut très intrigué :
Sur une autre planète?
Oui.
Il y a des chasseurs, sur cette planète-là?
Non.
Ca, c'est intéressant! Et des poules?
Non.
Rien n'est parfait, soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée :
Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent.
Toutes se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent.
Je m'ennuie donc un peu.
Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée.
Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres.
Les autres pas me font rentrer sur terre.
Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique.
Et puis regarde! Tu vois là-bas, les champs de blé?
Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile.
Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste!
Mais tu as des cheveux couleur d'or.
Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé!
Le blé qui est doré, me fera souvenir de toi.
Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
S'il te plaìt... apprivoise-moi, dit-il.
Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps.
J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaìtre.
On ne connaìt que les choses que l'on apprivoise, dit le renard.
Les hommes n'ont plus le temps de rien connaìtre.
Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands.
Mais comme il n'existe point de marchands d'amis,
les hommes n'ont plus d'amis.
Si tu veux un ami, apprivoise-moi!
Que faut-il faire? Dit le petit prince.
Il faut être très patient, répondit le renard.
Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe.
Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien.
Le langage est source de malentendus.
Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
Le lendemain revint le petit prince.
Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard.
Si tu viens, pas exemple, à quatre heures de l'après-midi, dés trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux.
A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai; je découvrirai le prix du bonheur!
Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le coeur...
Il faut des rites.
Qu'est-ce qu'un rite? Dit le petit prince.
C'est quelque chose de trop oublié, dit le renard.
C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures.
Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village.
Alors le jeudi est jour merveilleux! Je vais me promener jusqu'à la vigne.
Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances.
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure de départ fut proche :
Ah! Dit le renard... Je pleurerai.
C'est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise...
Bien sûr, dit le renard.
Mais tu vas pleurer! Dit le petit prince.
Bien sûr, dit le renard.
J'y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
Puis il ajouta :
Va revoir les roses. Tu comprendras. Tu comprendras que la tienne est unique au monde.
Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret.
Le petit prince s'en fut revoir les roses :
Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore, leur dit-il.
Personne ne vous a apprivoisées et vous n'avez apprivoisé personne.
Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille autres.
Mais, j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses étaient bien gênées.
Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore. On ne peut pas mourir pour vous.
Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble.
Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes,
puisque c'est elle que j'ai arrosée.
Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe.
Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent.
Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles
(sauf les deux ou trois pour les papillons).
Puisque c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter,
ou même quelquefois se taire.
Puisque c'est ma rose.
Et il revient vers le renard :
Adieu, dit-il...
Adieu, dit le renard.
Voici mon secret. Il est très simple:
on ne voit bien qu'avec le coeur.
L'essentiel est invisible pour les yeux.

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Vilain Petit Canard
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